Des photos anciennes de Lesconil, nous rappellent l’existence jusqu’aux années 1960 d’un charmant îlot de marée qui limitait le bassin portuaire vers l’est. Il n’est plus qu’un terrain vague prolongeant le parking de la criée. Le lieu est communément appelé Menez-Groaz.
Quelle est l’origine de ce nom ?
La tradition parvenue jusqu’à nous, deux inscriptions sur des cartes marines et un titre sur un document photographique, appuient de façon cohérente les explications que je propose ici. Les personnes nées dans les années 1860-1870 n’employaient pas l’appellation Menez Groaz (la butte de la croix). Elles prononçaient « Menargoas » en accentuant fortement la dernière syllabe, ce qui doit s’entendre : Maen ar gwaz, et que je traduis : le rocher du mâle. Au sommet du mamelon se dresse, en effet, un étrange monolithe, vraiment remarquable par sa taille. On l’appelait ar Gwaz. Ce terme désigne en breton l’homme viril, le mari.
On sait qu’au début du XXème siècle encore, des jeunes femmes désireuses d’enfanter venaient appuyer leur ventre dénudé contre la paroi de certains rochers ou menhirs dont la silhouette phalloïde matérialisait la puissance fécondatrice émergeant du sein de la terre.
A Lesconil, « gour » n’est plus employé qu’au sens négatif très appuyé : « hennez n’es ket gour », c’est un incapable, un nul (élargissement plaisant du sens primitif !). Une carte hydrographique levée en 1905 attribue à notre ilôt ce même nom : Ar Gwaz. C’est évidemment sur la foi des informateurs locaux que cette désignation fût retenue.
Une carte des côtes bretonnes éditée au XVIIème siècle porte la mention « la croix » à l’endroit qui nous intéresse. Nous savons que cette époque connut de nombreuses « missions » en Basse Bretagne. Celles du Père Maunoir sont célèbres. Les rassemblements de fidèles se terminaient souvent par l’établissement d’une croix consacrant le triomphe de la foi chrétienne sur le paganisme et symboliquement en un lieu où les adeptes de celui-ci célébraient leurs rites. Il est fort probable qu’une croix ait trouvé sa place ici. Cependant deux siècles plus tard le souvenir s’en est perdu.
Une carte postale datant des années 1920 montre Ar Gwaz devenu cette fois la « Roche aux Fées ». Rien d’étonnant que certains Lesconilois l’aient désignée ainsi : Maen ar Gwrac’hed, la Roche des sorcières (en vérité). Ceci étant, bien entendu, les femmes venaient la nuit tombée, invoquer une aide mystérieuse à leur procréation, accompagnant leurs gestes d’incantations païennes.
Menez-Groaz/ La Croix. Maen ar Gwaz. Maen ar GWrac’hed : trois noms dont la proche homophonie pourrait laisser croire que deux d’entre eux dérivent de l’autre par corruption de la prononciation originelle. Nous venons de voir qu’il n’en est rien. Chacun d’eux nous rappelle, à sa façon, un point d’histoire locale, un aspect des croyances antagonistes d’une communauté bretonne il y a quelques dizaines d’années de cela.
Pourquoi la persistance des croyances traditionnelles ici ?
Rappelons que tout le Cap Caval, mais singulièrement le site de Lesconil, abondaient en constructions préhistoriques, vieilles d’environ 4500 ans. Une garenne s’étendait depuis l’emplacement de l’église actuelle jusqu’au Ridou (rivage ouest du Ster). Elle était occupée par un réseau de dolmens et d’allées couvertes dont une partis subsistait encore au début du XX° siècle, c’est jusqu’à l’époque où notre village prit son essor. Elle était appelée Gwaremm Korriged : lande des Korrigans (lutins).
On comprend que devant ces monuments impressionnants nos anciens aient éprouvé crainte et vénération, et, ignorant leur destination première, ils y aient perçu des manifestations occultes de forces telluriques toutes puissantes qu’il fallait se concilier, même si les excès de la « sorcellerie » les portaient à condamner certains rites païens. Nous vivons dans un autre monde…
Extrait d’un texte d’André BUANIC